La colère : signe de nos propres frustrations
Nous avons tous en nous une conception très personnelle de ce que devrait être le monde, de comment il devrait être régie, des principes de vie qui devraient animer chacun d’entre nous, des valeurs qu’il faudrait défendre, de ce qui bon ou non, de ce qui doit être interdit ou non…bref, nous savons très bien ce qui est bon ou non, ce qui est mal ou bien. Mais nous oublions toujours dans ce genre de raisonnement, que l’autre, les autres, pensent exactement la même chose que nous, mais avec d’autres valeurs, d’autres principes. Nous sommes convaincus d’avoir raison, d’avoir le savoir, la connaissance et la sagesse pour se poser en juge, et perdons complètements de vue que la vérité universelle n’existe pas en soi.
Et ceci pour une seule et bonne raison, c’est que nous avons beaucoup de difficultés à ne pas oublier que nous avons tous un passé différent, des parents différents, une religion différente, des expériences différentes, et donc une logique de fonctionnement différente, une programmation de vie différente et surtout des valeurs différentes. Et parce que nous oublions ceci, nous continuons à tout ramener à nous, et encore à nous, comme si nous étions les seuls êtres sur terre à pouvoir avoir raison. Et parce que le monde ne tourne pas comme nous le voulons, que les autres ne se comportent pas comme nous le voulons, que les autres ne font pas ce que nous voulons, que les personnes qui nous entourent ne sont pas comme nous voulons, il naît chez nous une frustration. De cette frustration naît la colère, les maladies, les génocides, les guerres. Juste parce que nous oublions que les autres aussi, ont le droit d’exister, de vivre et d’être, même si cela ne correspond en rien à nos propres attentes.
Bien entendu, là encore, notre égo, ce fameux moi, encore moi et toujours moi, est la pierre angulaire de notre malheur, la source primaire de nos souffrances et de nos stress. Nous ramenons la terre entière et les autres à nous et nos conceptions, oubliant de donner aux autres le droit d’exister et de penser à leur guise. Le bouddhisme a, depuis des millénaires, défini cet égo comme la source de bon nombre de souffrances humaines et les moyens de travailler dessus pour s’en détacher afin de trouver sa place dans le monde.
La frustration naît donc de l’espace qu’il existe dans ma vie, entre mes conceptions et mes préceptes, mes vérités et mes valeurs, et le déroulement réel de mon existence au milieu des autres. Tout ce que je n’ai pas, et que je mérite parce que c’est juste, donne naissance à la colère parce qu’il fait naître en moi ce sentiment d’injustice lorsque je ne l’obtiens pas de la vie ou des autres. Le monde ne me respecte pas, ne fait pas comme MOI je le souhaite, ne ME donne pas raison…à ce rythme là, nous n’avons pas fini de souffrir, l’univers refusant obstinément à se plier à vos exigences.
Dans les 4 nobles vérités, le bouddhisme enseigne que notre vision erronée du monde et de ses réalités, est la source primaire de notre malheur, et qu’il nous appartient d’apprendre à connaitre ces réalités pour pouvoir les intégrer, les gérer et travailler sur nous, pour lâcher les origines de la souffrance. En refusant la réalité du monde et des hommes, nous attendons des choses qui ne peuvent arriver et évoluons inévitablement vers la frustration et la colère. Si cette colère est retournée contre vous et votre manière de fonctionner, cela peut être une des voies du changement. Mais si celle-ci est retournée contre le monde qui refuse de vous donner raison, elle ne va que croître et s’amplifier, au point d’aboutir à la maladie et à la haine des autres. Plus nous refusons de nous adapter aux réalités du monde, plus nous avançons vers la pathologie et le mal-être moral.
Le terme « nobles vérités » désigne en bouddhisme les réalités vraies, nettement établies et éternelles, de la condition humaine et de sa vie. Elles ont de magnifiques en elles, le fait de poser l’aspect dramatique de notre condition, et de nous donner en même temps, le moyen de s’en préserver. Elles représentent le fondement de la doctrine du petit véhicule.
Le chemin octuple du bouddhisme, quant à lui, nous enseigne comment se détacher de cette souffrance. L’un des préceptes est d’avoir accès à la compréhension juste de la vie, de l’existence, à la manière du Bouddha, c’est-à-dire avec ses souffrances et leurs causes, mais aussi avec la résolution possible de ces souffrances par la compréhension de la méthode, de la voie, pour y arriver.
En bref, nous souffrons parce que nous refusons de voir la réalité du monde, les lois qui le dirigent et de les accepter comme telles, tout en sachant qu’il existe des moyens pour que cela cesse. Chacun d’entre nous étant libre de suivre sa vie, la résolution de changer ne peut provenir que de chacun d’entre nous, plus que d’une prise de conscience globale et collective.
Il nous faut donc cultiver la tolérance afin de pouvoir développer le détachement, promouvoir l’amour afin de ne pas pencher vers la haine, et pour cela, arrêter de se mentir sur ce que peut offrir le monde, tout en gardant en pleine conscience notre propre capacité à modifier notre manière de vivre dans ce monde. Si nous acceptons que chacun d’entre nous avons raison, que nous détenons tous une vision partielle d’une seule et même réalité, nous nous autorisons ainsi à nous ouvrir aux vérités des autres afin d’élargir notre perception du monde afin d’y vivre en paix.
La colère est le sentiment le plus dévastateur, le plus néfaste qu’il existe pour notre santé et notre équilibre moral et émotionnel. Elle est malheureusement encore cultivée trop souvent par ceux dont l’ignorance en fait la faiblesse. La liberté émotionnelle ne peut venir qu’au travers d’un travail personnel et d’un désir ardent de vivre autrement. Elle passe par la connaissance et la culture, par l’accès à de nouvelles valeurs que nous ne détenons pas de manière naturelle pour le plus grand nombre et que nous devons donc aller chercher au travers des écrits de cultures plus tolérantes.